Ukraine: Roustem Oumerov, l'homme-clé des négociations de paix, négociateur chevronné mais contesté

De retour de Moscou, Steve Witkoff, l’envoyé spécial de Donald Trump, devait rencontrer ce vendredi 5 décembre en Floride le négociateur en chef ukrainien Roustem Oumerov. Depuis la démission du chef du bureau du président Andrii Yermak sur fond de scandale de corruption, le chef du Conseil national de défense et de sécurité a pris la tête de la délégation ukrainienne pour les négociations de paix avec les Américains. Considéré comme un négociateur chevronné, Roustem Oumerov a aussi quelques points faibles.

L’ancien ministre de la Défense n’en est pas à sa première mission diplomatique. Il a été membre de la délégation ukrainienne lors des négociations avec la Russie dès 2022. Il a aussi participé aux pourparlers sous l’égide de la Turquie et de l'ONU, qui ont débouché sur un accord pour débloquer les exportations céréalières en mer Noire et a joué un rôle dans les négociations qui ont abouti à des échanges de prisonniers de guerre et de civils. Musulman, Roustem Oumerov est né en Ouzbékistan soviétique, dans une famille de Tatars de Crimée déportée de la péninsule sur ordre de Staline. Cheveux rasés, visage rond, barbe de trois jours, carrure épaisse, toujours vêtu d’un treillis militaire, ce polyglotte a aussi participé cette année à deux cycles de pourparlers à Istanbul avec la délégation russe. Et il était déjà présent en Floride le mois dernier, lorsque le plan de paix en 28 points a fait surface. « C’est un négociateur pas facile, assez compétent, persévérant et méthodique. Il est entré dans le processus de négociation notamment grâce à ses liens étendus avec le monde islamique, puisqu’il est issu du peuple tatar de Crimée. La Turquie lui était donc proche, il s’y sentait à l’aise, et il s’est révélé dans son travail comme un négociateur sérieux et respecté », note le politologue ukrainien Ruslan Bortnik. « Il est l’une des figures de négociation les plus importantes dont dispose encore le président », après la démission du chef de son administration qui menait aussi les discussions internationales pour la partie ukrainienne.

Réformateur

Lorsqu’il a pris le portefeuille de la Défense en 2023, en remplacement d’Oleksiy Reznikov, empêtré dans une affaire de corruption, la société civile, dans l’ensemble, avait applaudi, voyant en Rustem Oumerov, un réformateur qui pourrait mettre de l’ordre dans ce ministère et en particulier dans les achats de matériel militaire. Député du parti libéral d’opposition Holos entre 2019 et 2022, il avait été à la tête de la commission parlementaire chargée de contrôler les livraisons d’armes occidentales, s’y forgeant une réputation de militant anti-corruption qu’il a consolidée en tant que directeur du Fonds des biens d’État, le principal fonds de privatisation du pays. Mais, les attentes de la société civile ont été déçues. « Sa nomination comme ministre de la Défense a été une erreur », affirme Daria Kaleniuk, directrice et fondatrice de l'Anti-Corruption Action Centre (AntAC). « Notre organisation et moi-même avons reconnu que nous nous étions trompés dans notre évaluation de Roustem Oumerov. Nous l’avons fortement critiqué pour sa gestion défaillante du ministère. En réalité, il ne gérait rien du tout. C’était devenu un véritable "ministère du chaos" ». Selon l’experte, l’ancien ministre de la Défense aurait même annulé certaines de ses propres réformes dans le domaine des achats militaires. Sous pression, Roustem Oumerov avait fini par quitter le ministère l’été dernier pour prendre la tête du Conseil de défense et de sécurité nationale, un changement présenté comme une promotion.

« Ministère du chaos »

Sa nomination comme négociateur-clé avec les Américains est intervenue après son audition par le Bureau national anticorruption (NABU), le 26 novembre, dans le cadre du vaste scandale dans le secteur de l’énergie. Cette affaire, dont toute l'ampleur n'a pas encore été révélée et qui a poussé à la démission Andrii Yermak, le bras droit du président, a pour personnage principal l’homme d'affaires en fuite Timour Minditch. Selon le NABU, ce dernier est soupçonné d’avoir influencé des décisions de hauts responsables du gouvernement, dont l’ex-ministre de la Défense, Roustem Oumerov. Entendu en tant que témoin, il n’a jusque-là pas fait l’objet d’accusations. « Il est possible que cette nomination doive aussi être perçue comme une tentative du président de protéger une figure politique dont il a besoin », note Ruslan Bortnik, soulignant que le président ukrainien avait utilisé une méthode similaire avec son chef de l’administration.

Le NABU n’a pas encore révélé tous les détails des heures d’enregistrements auxquelles il a eu accès. « Nous nous attendons à de nouvelles révélations, notamment concernant Fire Point — une société considérée comme contrôlée par Timour Minditch, qui a reçu d’énormes contrats du ministère de la Défense pour des drones et le projet de missile "Flamingo". De nombreuses questions se posent à propos de cette entreprise », souligne Daria Kaleniuk. Pour la militante anti-corruption, la désignation de Roustem Oumerov comme principal négociateur ukrainien dans les pourparlers de paix est « une très mauvaise décision », en raison d’un « conflit d’intérêts potentiel : il pourrait utiliser ces négociations pour se maintenir au pouvoir ou éviter des poursuites. Ses intentions pourraient ne pas être alignées sur les intérêts de l’Ukraine mais sur les siens. » La directrice de l'ONG Anti-Corruption Action Center, « Zelenskyy devrait démettre Oumerov de ses fonctions sans attendre qu'il soit inculpé ou qu'il fasse l'objet d’enquêtes. Il n'est tout simplement pas la personne en qui les Ukrainiens ont confiance ».

Si Roustem Oumerov a été entendu en tant que témoin, sans qu’aucune accusation ne soit formulée à son encontre, sa situation pose un problème, selon Ruslan Bortnik. « Le chef de la délégation ukrainienne se retrouve dans une position vulnérable, d’un côté en raison des enquêtes anti-corruption, et de l’autre, parce que sa famille vit aux États-Unis ». Plusieurs organisations de la société civile ont affirmé que la famille de Roustem Oumerov possédait plusieurs propriétés de luxe aux États-Unis — une affirmation que lui et son service de presse démentent. Selon une enquête récente de l’ONG AntAC, la famille Oumerov posséderait ou louerait plusieurs biens immobiliers outre-Atlantique : trois appartements en Floride, un appartement à New York, et quatre villas près de Miami. « Tous ces biens n’ont pas été déclarés conformément à la législation ukrainienne, or nous disposons de preuves provenant de registres publics américains et de certains registres non publics. Nous connaissons exactement les adresses des villas et des appartements », affirme Daria Kaleniuk, « et on ne sait absolument pas d’où proviennent les fonds permettant un tel train de vie ».

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